LE 6 MAI 2020 | ÉCRIT PAR MARTIN LASALLE
On éprouve souvent de la compassion quand un être cher souffre. Il serait tout aussi important d’en avoir pour soi-même lorsque ça ne va pas. Plaidoyer en faveur de l’autocompassion.
Il vous arrive sûrement d’être là pour les autres lorsqu’ils éprouvent de la douleur, qu’elle soit physique ou psychologique. Mais vous montrez-vous tout aussi bienveillant envers vous-même?
En cette période qui entraîne son lot d’épreuves, «l’espoir est essentiel pour se rappeler que ça ira mieux dans l’avenir… Et quand le moment présent est douloureux, la compassion peut servir de baume», nous disent les professeures Mireille Joussemet, Geneviève Mageau et Katherine Péloquin, ainsi que les doctorantes Lysa-Marie Hontoy et Émilie Lemelin, qui réfléchissent ensemble sur cette question au Département de psychologie de l’Université de Montréal.
Mireille Joussemet a bien voulu répondre à quelques questions visant à mieux comprendre ce qu’est l’autocompassion et comment on peut en faire usage.
Pourquoi parler d’autocompassion?
Avoir de la compassion envers les autres est commun. Par contre, avoir de la compassion pour soi peut être perçu avec réticence en Occident parce que la notion de compassion nous semble liée seulement aux autres. Pour certains, l’autocompassion peut même sembler louche ou néfaste et être considérée comme de l’indulgence, de la passivité, un renoncement ou même une forme d’égoïsme. Comme si, contrairement à tous les êtres humains, on n’avait pas besoin d’être accueilli dans ses moments difficiles! Parler d’autocompassion, c’est remettre en question cette tendance que nous avons à nous traiter plus durement qu’on traite les autres.
Comment parvient-on à faire preuve d’autocompassion?
C’est drôle à dire, mais il faut d’abord de la souffrance, qui est l’occasion de manifester de la compassion. Cette souffrance peut survenir parce que les choses ne se passent pas comme on l’aurait souhaité ou parce qu’on ne s’est pas comporté comme on l’aurait voulu. Ensuite, l’autocompassion est faite de trois actions.
La première consiste à remarquer la douleur qu’on ressent sans la juger. En effet, prendre conscience de ce qui se passe dans notre corps, comme une crispation ou une boule dans la gorge, nous indique qu’une émotion douloureuse est là. L’émotion, même la plus désagréable, est passagère. Il est souvent tentant de nier son existence ou de la faire taire, pour toutes sortes de raisons, mais c’est en l’accueillant que, peu à peu, l’émotion difficile peut s’atténuer. L’exercice consiste donc à l’observer, mais sans l’exagérer ni la laisser nous définir ‒ ressentir du découragement n’est pas synonyme d’incapacité! Se concentrer sur des sensations physiques peut aider à ne pas se laisser envahir, qu’il s’agisse d’écouter les bruits ambiants, de sentir notre respiration qui nous berce ou le poids de notre corps dans la plante des pieds.
La deuxième action est d’adopter une attitude de réconfort pendant que l’émotion douloureuse passe. Au lieu de se juger ou de se blâmer, on tente de faire preuve de bienveillance ou de gentillesse envers soi-même. Il s’agit ici d’éviter de «rajouter une couche» à la souffrance initiale, avec des critiques. Le but est de se dire à soi-même ce qu’on dirait à un être cher s’il avait mal, comme «De quoi aurais-je besoin en ce moment?» Penser à ce que quelqu’un de bienveillant dirait peut nous aider à trouver des mots qui font du bien.
Enfin, la dernière action à poser est de remplacer l’impression que notre souffrance nous sépare des autres: quand on vit une épreuve, on peut être porté à se sentir différent, à part ou seul au monde, ce qui peut mener à s’éloigner des autres sans s’en rendre compte. De fait, souffrir est une condition humaine: tous les êtres humains souffrent, à un moment ou un autre. Prendre conscience de cette humanité partagée peut alléger la souffrance ressentie ou, du moins, empêcher de l’alourdir en nous donnant l’impression que nous sommes seuls à vivre cette expérience.
Tout être humain qui souffre mérite ne serait-ce qu’un petit peu de compassion. Faire preuve de compassion envers soi-même, c’est s’accorder un moment de recul pour prendre conscience des émotions difficiles qui nous habitent, c’est s’offrir la bienveillance avec laquelle on accueille un proche et reconnaître que la souffrance fait partie de l’expérience humaine.
Sur quelles sources fiables peut-on se tourner pour entamer une démarche d’autocompassion?
La professeure Kristin Neff, de l’Université du Texas à Austin, est une pionnière de la recherche dans ce domaine en Occident. Elle a mené de nombreuses études sur le thème de l’autocompassion et a collaboré avec Chris Germer, un psychologue clinicien et praticien de la méditation, qui a élaboré un programme d’intervention. Certains de leurs livres sont traduits en français.
Ces chercheurs lancent toutefois un avertissement: si la pratique de l’autocompassion augmente l’intensité de la souffrance ‒ ça peut arriver, surtout au début ‒ et que les émotions prennent le dessus, il vaut mieux mettre fin à l’exercice et miser sur un comportement concret réconfortant, comme se servir sa boisson chaude préférée ou écouter une chanson qu’on aime particulièrement. Ça aussi, c’est se témoigner de la compassion: se donner ce dont on a besoin, sans jugement et avec bienveillance!
Deux méditations d’autocompassion en français et gratuites
À l’invitation de Mireille Joussemet, la psychologue Christiane Quoibion, certifiée par le Center for Mindful Self-Compassion, fait cadeau à la communauté de deux méditations guidées en français:
Lire l’article sur le site d’origine https://nouvelles.umontreal.ca/article/2020/05/06/la-compassion-une-reponse-a-la-souffrance-des-autres-ainsi-qu-a-la-sienne/