Neuroscientifique et psychologue, Olga Klimecki mène des recherches sur l’entraînement aux émotions sociales, telles l’empathie et la compassion, et leur impact sur le comportement affectif des individus. Explications.

Vous effectuez des recherches sur l’apprentissage de la compassion. En quoi consistent-elles?

La souffrance est un problème très générique, universel. La question qui m’a intéressée était de savoir dans quelle mesure on peut se mettre en relation avec la souffrance des autres, sans se mettre soi-même en situation de détresse, ce qui m’a conduit à examiner la distinction entre empathie et compassion.

En quoi cette distinction est-elle pertinente?

Elle marque des rapports différents à autrui et à soi-même. Alors que l’empathie fonctionne comme un simple miroir des émotions d’autrui, la compassion implique un sentiment de bienveillance, avec la volonté d’aider la personne qui souffre. J’ai donc conçu des entraînements à la compassion et j’ai constaté que celui-ci a un impact sur l’attitude des participants, en augmentant leur prosocialité, à savoir leur capacité à agir pour le bénéfice d’autrui. Cela s’est vérifié après examen à l’IRM. Les personnes ayant suivi l’entraînement à la compassion affichaient des activités neuronales liées aux émotions positives, même lorsqu’on leur soumettait des images d’individus souffrant. Au contraire, le fait d’être trop empathique vis-à-vis de la détresse d’autrui peut conduire à des réactions similaires à un «burn out», ce qu’on appelle la fatigue empathique.

Mais ne faut-il pas un minimum d’empathie pour être sensible à la souffrance d’autrui?

L’empathie initiale est nécessaire pour être touché. Mais ensuite il faut de la compassion pour se protéger des émotions négatives générées par l’empathie. Ce passage de l’empathie à la compassion est utile pour que les gens perçoivent eux-mêmes la différence et soient capables de distinguer un état empathique d’un état compationnel.

Comment peut-on entraîner des gens à la compassion?

J’ai examiné plusieurs types d’entraînement possibles, avant de retenir une approche méditative qui est basée sur le bouddhisme mais reste entièrement laïcisée. Les participants sont invités à visualiser une personne qui leur a fait beaucoup de bien. Cela leur permet d’acquérir un sentiment de bienveillance qu’ils peuvent ensuite diffuser à l’intention des autres.

En quoi ces recherches peuvent-elles être utiles dans la perspective de résolution de conflits?

L’idée est d’aller au-delà de l’entraînement à la compassion, pour voir comment cette dernière peut avoir un impact sur l’agressivité et la colère. Je travaille donc maintenant sur ces aspects. Je provoque les participants afin d’augmenter leur agressivité. J’ai constaté que les personnes ayant une grande capacité d’empathie sont généralement plus agressives, même envers ceux qui ne les menacent pas. Inversement, les individus dotés de facultés de compassion sont moins agressives, y compris envers ceux qui les ont maltraités auparavant.

Les changements que vous observez suite à ces entraînements sont-ils durables?

Je ne vise pas forcément des changements à long terme, mais plutôt un format applicable immédiatement. En cas de conflit entre deux pays, il n’est pas envisageable de demander aux négociateurs d’aller suivre un entraînement et de revenir plusieurs mois plus tard. Il faut, au contraire, développer des outils facilement accessibles, rapidement mis en place et très ciblés. Cela dit, certains participants, qui ont suivi l’entraînement de compassion, m’ont dit avoir recontacté un frère qu’ils n’avaient pas revu depuis très longtemps ou être parvenu à arrêter de fumer suite à cet entraînement. Il peut donc y avoir des changements dans la vraie vie, et pas seulement dans le cadre du laboratoire. Il faut aussi souligner l’aspect peu invasif de ces entraînements de compassion. Plus bienveillants vis-à-vis d’autrui, les participants ne voient pas pour autant leur niveau d’émotions négatives diminuer. Cela n’affecte ni leur sensibilité ni leur nature émotionnelle.

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