Le Centre interfacultaire en sciences affectives s’associe au Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge pour une série de visites-conférences de l’exposition «Trop humain»
La recherche sur les émotions pourrait être appelée à jouer un rôle dans la prévention et la résolution des conflits. Ce domaine, encore largement inexploré, fait en tout cas partie des principaux axes de développement du Centre interfacultaire en sciences affectives (CISA), récemment installé au cœur du campus biotech de Sécheron.
Engrenage émotionnel
Souffrance, colère, humiliation, fierté, désir de vengeance, peur, dégoût moral, sentiment d’exclusion: les émotions et autres phénomènes affectifs sont omniprésents dans l’engrenage qui mène aux conflits. Plutôt que d’en tenir compte, les techniques habituelles de la diplomatie cherchent toutefois à évacuer ces aspects émotionnels, se privant ainsi des moyens d’agir sur ce qui constitue très souvent un facteur clé de blocage dans la résolution des conflits.
Pour mener à bien ces recherches, le CISA prévoit d’intensifier ses collaborations avec les organisations internationales à Genève. Dernière en date de ces collaborations, celle mise en place avec le Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge autour de l’exposition Trop humain, à voir jusqu’en janvier 2015. Rassemblant des œuvres sélectionnées avec le concours du Musée d’art moderne et contemporain (Mamco), cette exposition offre un éventail saisissant des rapports qu’entretiennent les artistes des XXe et XXIe siècles avec la souffrance, et plus particulièrement la souffrance infligée volontairement à autrui. Elle sera complétée par une série de sept interventions de collaborateurs du CISA (voir programme ci-contre), autour de la souffrance, des émotions qui l’accompagnent et de son rôle central dans les conflits.
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Que ce soit le génocide du Rwanda, la Première Guerre mondiale, le régime de l’Apartheid ou la guerre d’Espagne, les sujets des artistes ne manquent pas, avec à chaque fois, pour le spectateur, cette interrogation: comment des êtres humains peuvent-ils être amenés à commettre des atrocités qui nient à ce point leur humanité?
Pour le professeur David Sander, directeur du CISA, quatre regards s’entrechoquent dans l’exposition. Alors que l’artiste et le spectateur se situent sur le plan, très humain, de la sensibilité à la souffrance d’autrui, la victime et son bourreau apparaissent privés de leur humanité. D’un côté, le bourreau est perçu comme un individu déséquilibré et dénué d’empathie, de l’autre, la victime, mutilée, est dépossédée de son identité et déshumanisée par son bourreau.
Au nom du chef
Mais l’absence d’humanité du bourreau au moment de son crime ne reflète peut-être pas une nature inhumaine. La plupart des génocides ont en effet montré qu’il n’est pas nécessaire d’être un psychopathe pour commettre des actes effroyables. Comment alors expliquer qu’un individu ordinaire puisse se transformer en tortionnaire? Des études suggèrent, par exemple, que les soldats américains qui humiliaient et terrorisaient leurs prisonniers à Abu Ghraib, en Irak, croyaient par-là répondre à un souhait de leur hiérarchie. Soumis à un stress extrême ou à la pression de l’autorité, un individu serait susceptible de commettre des actes insensés. Ce qui amène à une autre question: pourquoi, a contrario, certaines personnes ont des valeurs suffisamment affirmées pour résister à ce type de pressions dans des contextes similaires? Pourquoi y a-t-il des héros capables de mettre leur vie en danger pour venir en aide aux victimes?
Au Rwanda, les victimes du génocide étaient constamment associées à des cafards. Dégradées à un niveau de quasi-objets, mises à distance, elles en devenaient des proies plus faciles à éliminer, car dépossédées de leurs caractéristiques humaines. Mais, dans ce cas, pourquoi vouloir les faire souffrir? D’autres aspects liés à la domination entrent certainement en jeu: le tortionnaire jouirait du pouvoir de vie et de mort qu’il exerce sur ses victimes.
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Canaliser les émotions
La connaissance des mécanismes émotionnels impliqués dans ce face-à-face entre acteurs d’un conflit peut contribuer à le résoudre. Dans cette optique, David Sander et ses collaborateurs entendent travailler sur l’idée de régulation des émotions ainsi que sur les comportements sociaux et les processus cognitifs facilités par les émotions. «Lorsqu’un conflit entre dans sa phase de négociation, on pense généralement qu’il faut mettre de côté le plan émotionnel, observe le chercheur. Mais c’est impossible. Si les acteurs du conflit se retrouvent à la table de négociation, c’est précisément pour aborder des contentieux cruciaux pour eux, et nous savons que plus les enjeux sont importants, plus les émotions sont au rendez-vous.»
Des pistes existent déjà pour canaliser les émotions qui entrent en jeu dans ce type de situation, diffuser les tensions et favoriser un climat de dialogue. Il est possible, par exemple, d’entraîner les négociateurs à adopter une attitude bienveillante (lire “De l’empathie à la compassion: un parcours émotionnel face à la souffrance“) ou de présenter les pourparlers non pas comme un marchandage entre opposants, mais comme un partenariat établi pour résoudre ensemble un problème commun.
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